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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 23:45

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Nous sommes entraînés dans un monde inconnu sans avoir le temps ni les moyens de le changer facilement, malgré les risques graves qu’il présente.

Depuis les années 70, les rapports entre le marché et l’Etat avaient changé de façon spectaculaire partout dans le monde. Un ordre économique nouveau s’était imposé sur l’ensemble de la planète. Parfois insidieuse et parfois brusque voire brutale. Mais toujours avec des conséquences profondes pour tous les pays. D’un bout à l’autre de la planète, des gouvernements ont été forcés de privatiser les sociétés publiques. Certains avaient dû rappeler des multinationales congédiées des années auparavant. Des marchés boursiers se sont multipliés, des directeurs de fonds communs de placement sont devenus des stars, etc. Ces changements avaient ouvert de nouvelles perspectives et les idées les mieux enracinées étaient remises en cause. Désormais, des individus pouvaient affirmer que les gouvernements n’étaient plus en mesure d’assurer la protection du citoyen dans une économie mondialisée.

 

La planification et l’entreprise publique, qui constituaient le fondement du système né des révolutions, n’étaient plus acceptées. Le passage à l’économie de marché était recommandé ou plutôt exigé. Même les turbulences des marchés internationaux, notamment celles qui avaient secoué l’Asie en 1997 et l’Amérique latine en 1998 n’avaient fait planer aucun doute sur les certitudes des apôtres de l’ultralibéralisme.

 

Les concepts clés de la libre concurrence, de la privatisation, de l’ouverture des marchés nationaux et de la déréglementation avaient fait basculer  le balancier des idéologies en faveur du marché. Les gouvernements nationaux n’avaient plus le droit de contrôler les mécanismes de l’économie. Pour les libéraux ou ultra-libéraux, renforcés par l’effondrement du communisme, il n’y avait plus d’interrogation  car le changement était irréversible et faisait partie d’un processus continu de l’évolution du monde.  Il n’y avait pas lieu de s’interroger sur les conséquences politiques, sociales et économiques de la mutation des relations entre l’Etat et le marché. La querelle de la frontière entre l’Etat et le marché semblait tranchée de façon définitive et satisfaisante pour les ultralibéraux. Le débat, qui a été la cause de conflits ou d’escarmouches intellectuelles et politiques depuis des siècles et qui a constitué le combat et des drames du 20è siècle semblait clos. Des pays ou des hommes, anciennement communistes ou socialistes, s’étaient convertis eux-mêmes à la théorie et aux pratiques de l’économie de marché.

 

Le débat doit être à nouveau ouvert avec la crise financière et les faillites des banques privées qui ont été sauvées par des Etats grâce aux injections monétaires massives de l’argent imprimé par les banques centrales. Ce débat façonnera dans une grande mesure le 21è siècle et doit déboucher sur la définition d’un nouveau système idéologique, monétaire, financier et économique international.

 

Quels seront le pouvoir et les prérogatives des Etats au 21è siècle ?

 

Ce sont les révolutions, les deux guerres mondiales, les dépressions économiques, les ambitions des politiques et les convictions des idéologues qui avaient amené à la croissance des Etats. Ils s’étaient appuyés sur le besoin d’une plus grande sécurité exprimé par les citoyens, sur celui d’un progrès et d’une amélioration des conditions de vie des populations et sur celui d’un idéal d’égalité, de justice et de liberté.

Pour les progressistes, la conviction est que le marché est naturellement porté aux excès, aux erreurs et aux échecs. Ils sont persuadés que le marché ne peut pas répondre à toute une série de besoins et que les risques et les coûts humains qu’ils représentent sont trop élevés et leur capacité de nuisance trop grande. C’est d’ailleurs suite aux grands traumatismes qui avaient marqué la première moitié du 20è siècle que les gouvernements, notamment celui de Roosevelt aux Etats-Unis, étaient amenés à étendre progressivement leurs responsabilités et obligations envers les citoyens et à assumer de nouvelles charges. Les progressistes sont quasiment sûrs que le savoir gouvernemental, c’est-à-dire l’intelligence collective prêtée aux décideurs centralisés au sein de l’Etat, est réputé supérieur au savoir des marchés, qui est une intelligence dispersée de décideurs privés et de consommateurs isolés individuellement.

 

Le débat était souvent faussé ; puisqu’il portait sur les cas extrêmes. La crise systémique actuelle et la dissuasion nucléaire élargie n’autorisent plus le recours à une guerre mondiale conventionnelle. Par conséquent, la réalité force à un débat plus réfléchi et plus difficile.

Après la faillite du communisme et celle du capitalisme financier spéculateur, le modèle n’est-il pas l’économie mixte ? Les gouvernements y feront prévaloir leur savoir en toute plasticité et le sens de l’humanisme. Ils exerceront un pouvoir réel sans étouffer les mécanismes de marché. Ils reconstruiront, moderniseront les infrastructures vétustes et relanceront la croissance. Ils offriront aux citoyens l’égalité des chances et la garantie d’un certain bien-être. Dans chaque pays, l’Etat détiendra les positions stratégiques mais autorisera le libre marché. Ce qu’on peut appeler le capitalisme régulationniste.

 

D’ailleurs et sans mauvaise foi, comment peut-on nier que seuls les gouvernements sont aujourd’hui en mesure de mobiliser et de gérer les ressources nécessaires pour sauver les banques privées en faillite ? L’échec du marché amène à méditer sur l’échec de l’Etat et sur le seuil d’incompétence de l’un et de l’autre. Incontestablement, le rôle de recours ultime en cas de crise doit être reconnu à l’Etat et il doit être en mesure d’intervenir aussi rapidement pour réaliser des dépenses à caractère social, les transferts et les droits sociaux. Il doit dorénavant pouvoir planifier, réglementer mais laisser sa part de responsabilité au marché.

 

Le processus d’intégration et d’internationalisation de l’activité humaine a conduit à resserrer l’éventail des prérogatives de l’Etat et à le dépouiller des souverainetés monétaire et budgétaire. La crise financière mondiale, les déficits abyssaux des Etats et la défiance prédominante dans le rôle bénéfique  du marché commandent une révision profonde des concepts, des idées, etc. L’économie mixte doit assigner à l’Etat le rôle régulateur de la société et de garant du cadre juridique. Il ne peut pas jouer ce rôle s’il est faible et dépourvu de ressources financières.

 

En période de crise, il est dangereux de laisser le marché détenir les positions dominantes dans l’économie et décider des choix à faire. Pour la reconstruction aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique, après un demi siècle de prédominance de l’économie de marché, de chômage élevé, de mauvaise gouvernance des grandes banques, des compagnies d’assurances, des multinationales de l’automobile, de crise dans l’agriculture, de déficits chroniques des Etats, de dégradation de l’environnement, de menace climatique, d’inefficacité du management privé, etc., seuls les Etats peuvent s’entendre pour trouver une solution de moratoire sur les dettes, de relance de l’économie de la production ; pour réorganiser une croissance basée sur des investissements dans la création de richesses physiques et de politique de plein emploi. Il n’y a que l’Etat qui peut assurer en fin de compte la justice, l’ordre et l’équité.

 

Il est donc temps d’inventer un nouveau modèle économique. La gestion financière et monétariste de la crise, qui méprise les conditions humaines, baisse les niveaux de vie des populations et aggrave la pauvreté du plus grand nombre, est un recul de la civilisation. Il est notoire qu’aucun Etat ne peut rembourser sa dette. Aucun Etat ne peut non plus arrêter de créer des déficits sans régresser et sans provoquer le chaos. L’intervention directe et massive de l’Etat, caractérisée par des mesures sociales, est indispensable partout. Elle n’est pas plus coûteuse ni plus immorale que le sauvetage des banques. Elle doit se faire sous la forme de mesures fiscales, sociales et de développement d’un secteur public en souffrance conjointement à des aides au secteur privé producteur.

 

Des régions aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique sont sinistrées. Elles sont ravagées par la misère et une détérioration avancée des infrastructures. On ne peut pas attendre une plus grande dévastation ou les guerres comme en 1914-1918 et 1939-1945 avant de chercher une véritable solution. Le discrédit de l’économie de marché et sa faillite financière sont manifestes. Si on fait semblant ou par dogmatisme de lui faire encore confiance, alors les spéculateurs et les banquiers sans scrupule, qui n’ont aucune légitimité, vont aggraver la crise et nous entraîner vers l’irréparable. Peut-être qu’il y aurait une guerre dévastatrice dans laquelle sombreraient les promesses de progrès technologiques, les idéaux et les sacrifices des populations.

 

Il faut sans délai élargir les prérogatives des Etats pour leur permettre  de rénover les infrastructures en désuétude et d’enrayer la descente aux enfers des plus pauvres. Le capitalisme financier spéculateur est irrémédiablement infirme, incapable de s’autoréguler et moribond. On ne peut plus compter sur le marché pour générer la croissance nécessaire au progrès de l’humanité ni pour assurer aux populations un niveau de vie décent et pour lutter contre le réchauffement climatique. Des peuples européens élisent encore des conservateurs parce qu’ils sont désemparés ou déçus par des travaillistes et des socialistes qui proposent des politiques de rigueur.

 

D’un point de vue éthique, le capitalisme financier spéculateur, engendré par l’économie du marché, ne suscite que de la réprobation. C’est un jeu de casino au mépris du sort des hommes. Il est profondément inégalitaire et injuste. Il est mû par le seul appât du gain et il a manqué à ses promesses. En dehors de la Chine et de quelques pays émergents, pour un temps encore, il a créé du chômage et de la désespérance. Le contexte économique d’aujourd’hui nous conduit à rejeter ses dogmes.

 

En Afrique en général et au Togo en particulier, comment peut-on faire confiance à l’économie de marché pour éradiquer la pauvreté et combattre efficacement les maladies, l’ignorance de la masse et la  dégradation de tous les équipements sociaux ?   Seuls nos Etats peuvent nous procurer les moyens de la réhabilitation et de la reconstruction et assurer la redistribution équitable des richesses.

 

C’est en assignant à l’Etat la responsabilité primordiale de détermination de toutes les règles dans la société que nous éviterons le chaos créé par le marché. Nous devons aussi impérativement substituer la valeur de référence du plein emploi à celle dite sacrée de l’orthodoxie financière prônée par le marché. Le bien-être de la nation doit passer avant toute autre considération financière.

 

Les délocalisations sauvages, les escroqueries bancaires, le chômage de plus en plus élevé dans les pays, l’explosion de la misère, la désespérance des populations, la décrépitude de nos infrastructures, etc., rendent nécessaires aujourd’hui l’expansion du rôle de l’Etat. L’économie de marché avec ses dogmes cruels est engloutie sous ses propres échecs. Son assaut contre l’Etat s’est brisé. Le seul souci de ses apologistes est de préserver leurs intérêts de caste avec un minimum de risque. C’est ici et maintenant que l’Etat doit reprendre les leviers de commande comme aux Etats-Unis après la crise de 1929 et en Europe après la deuxième guerre mondiale.

 

 

Nicolas LAWSON

Directeur de publication

 

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